Né en 1975 à Vaslui, une petite ville de l’Est de la Roumanie, Corneliu Porumboiu découvre le cinéma à la Cinémathèque de Bucarest, alors qu’il était venu y étudier le Management. Il sort diplômé de la National University of Drama and Film de Bucarest en 2003. Après plusieurs courts-métrages, il achève en 2006 12h08 à l’Est de Bucarest, son premier long, autoproduit. Le film est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise, et remporte la Caméra d’Or. Son deuxième long-métrage, Policier, Adjectif, remporte le Prix du Jury dans la sélection Un Certain Regard en 2009 et sort en salles en France en 2010.
L’humour désabusé des courts-métrages
Porumboiu porte un regard à la fois moqueur et désabusé sur ses compatriotes, son pays, et part d’anecdotes et de gens qui lui sont familiers. Beaucoup de ses personnages passent leur temps à boire, se disent braves mais sont en réalité lâches et paresseux. Dans son premier court-métrage, Autant en emporte le vin (2002), un jeune homme de la campagne projette de partir à l’étranger pour échapper à l’inertie ambiante. Mais sa route est semée d’embûches, et en dépit de ses efforts (et notamment sa résistance à la boisson !) il se retrouve piégé dans son pays. Dans Le Rêve de Liviu (2004), Porumboiu met également en scène un jeune Roumain qui évolue dans un milieu stagnant. Sa caméra filme de façon naturaliste la vie quotidienne de ces jeunes sans emploi, non sans une certaine empathie. Liviu, 24 ans, vit de petits trafics, et apprend avec stupeur que sa petite amie est enceinte. Il tient ses parents pour responsables de la société dans laquelle il vit – peu d’argent, peu de travail, peu de liberté. En lui s’incarnent les désillusions de la génération post-1989, qui espérait après la chute de la dictature un progrès plus substantiel et des perspectives plus enthousiasmantes.
Autant en emporte le vin, premier court-métrage de Porumboiu (2002)
La Roumanie d’aujourd’hui marquée par l’histoire politique récente
Le cinéma de Porumboiu, bien que contemporain, est imprégné de l’histoire politique de son pays, et de l’événement récent le plus marquant : la Révolution de 1989 et la chute de la dictature. Porumboiu estime qu’avant 1989, temps où le cinéma était l’un des plus importants instruments de propagande, il n’aurait pas été en mesure de faire des films aussi réalistes. Le cinéaste Lucian Pintilie par exemple, souvent cité comme figure dissidente emblématique de cette période, fut interdit de tourner pendant dix ans pour avoir réalisé en 1968 La Reconstitution, où deux jeunes gens filmés par les autorités doivent simuler une bagarre à des fins de propagande pour le régime.
Le cinéma de Porumboiu parle de la Roumanie d’aujourd’hui, telle qu’il la ressent, telle que ses habitants la vivent, mais cette Roumanie actuelle est toujours fortement marquée par le passé. Que ce soit dans 12h08 ou Policier, Adjectif, Porumboiu cherche à s’approcher au plus près de la vérité par des interrogations incessantes : en questionnant les faits historiques dans 12h08 ; le langage et le sens des mots dans Policier, Adjectif ; ou encore la conscience morale des individus dans les deux films.
12h08 à l’Est de Bucarest : la Révolution a-t-elle vraiment eu lieu ? (à Vaslui)
Ainsi dans 12h08 à l’Est de Bucarest, Porumboiu s’inspire d’une réelle émission de télévision qui revenait sur le déroulement circonstancié de la révolution à Vaslui, sa ville natale. Le choix de l’émission comme cadre de la discussion n’est pas anodin, lorsque l’on sait que la Révolution roumaine de décembre 1989 fut l’une des premières à être télédiffusée en direct – instrument privilégié de la propagande du régime autoritaire de Ceausescu, ce fut l’une des premières « institutions » à passer aux mains des manifestants.
Le film est construit en deux parties : à la première, plus descriptive, proche d’une comédie burlesque avec une troupe de personnages englués dans leur quotidien, anti-héros aussi pathétiques que sympathiques, succède la fameuse émission de télévision, filmée en plans fixes à travers l’objectif hésitant d’un caméraman amateur. La satire politique s’installe, et la déconstruction d’un mythe, celui de la révolution nationale, est à l’œuvre. Si la séquence est toujours comique, elle n’en devient pas moins aigre-douce, en désacralisant le mythe révolutionnaire.
Policier, Adjectif : que signifient conscience et morale ?
Policier, Adjectif, le deuxième et dernier long-métrage à ce jour de Porumboiu, prend également place à Vaslui, la ville natale du cinéaste. Le policier Cristi prend en filature un jeune garçon qui consomme du haschish avec ses amis, et doit faire face à un dilemme moral : obéir à son supérieur hiérarchique, incarnation de la loi (légale), ou désobéir aux ordres et agir selon sa propre conscience (morale) ? On y retrouve les thèmes de prédilection de Porumboiu : la Roumanie d’aujourd’hui (la rue, les petits trafics, un quotidien dépouillé), et une réflexion très explicite autour du sens des mots, et de l’action en général. Cette réflexion se déploie, de manière analogue à 12h08, dans une seule pièce (le bureau du supérieur de Cristi), en deuxième partie du film ; les plans sont fixes, la scène se déroule en temps réel. Maniant habilement des dispositifs d’une apparente simplicité, Porumboiu prouve sa maîtrise du temps et de l’espace.
Un « âge d’or » du cinéma roumain ?
Porumboiu n’est pas seul à faire des films qui s’attachent à parler de la Roumanie au présent, et sans détours. A partir de 2001, plusieurs cinéastes, regroupés autour de la capitale Bucarest, filment leur pays et accèdent peu à peu à une véritable reconnaissance internationale, à tel point que les critiques évoquent une « nouvelle vague roumaine ». En 2005, La Mort de Dante Lazarescu, de Cristi Puiu, remporte le Prix Un Certain Regard à Cannes. Cristian Mungiu se distingue en 2007 avec le très réaliste 4 mois, 3 semaines, 2 jours, Palme d’Or à Cannes, qui montre sans détours un avortement clandestin sous Ceausescu, à la fin des années 1980 (le décret 770, en vigueur de 1966 à 1989, interdisait fermement les avortements, qui allaient à l’encontre de la politique nataliste du régime). La même année, le prix Un certain Regard est décerné à titre posthume à Cristian Nemescu (décédé dans un accident de voiture pendant le montage…) pour California Dreamin’. En 2009 les collectifs Contes de l’âge d’or reviennent également sur les années Ceaucescu, cette fois-ci en privilégiant un ton humoristique et burlesque. L’avortement, la misère, la bureaucratie, mais aussi la musique et l’humour, sont des thèmes forts de ces cinéastes.
Cet essor intervient après une grave période de crise : dans les années 1990, après la chute du régime, l’industrie du cinéma roumaine était quasi inexistante (diminution drastique du nombre de salles, absence d’une industrie liée à la nouvelle économie de marché, manque de savoir faire…). En 1997 une loi est votée par le gouvernement roumain, qui assure au cinéma un financement minimum grâce à la publicité et aux chaînes de télévision, et organise une concurrence transparente entre les scénarios. Un équivalent du CNC permet de cofinancer, depuis le début des années 2000, des films qui étaient souvent autoproduits (c’était d’ailleurs le cas de 12h08).
Cependant, la survie et le développement de ce nouveau cinéma roumain passe essentiellement par sa reconnaissance auprès du public local. Aujourd’hui il n’existe encore que très peu de salles de cinéma en Roumanie, de surcroît aller au cinéma n’est plus ancré dans les comportements, et les films roumains sont souvent déconsidérés au profit de grosses productions américaines…
Liens :
Court-métrage Autant en emporte le vin :
Interviews de Corneliu Poromboiu :
Policier, Adjectif, la bande-annonce :
Sur le nouveau cinéma roumain :