Pardonnez-Moi, approche détaillée du film



« Pardonnez-moi » est un film écorché, profondément personnel qui se joue des frontières entre documentaire et fiction. Maïwenn se met elle-même en scène pour parler de sa famille, mais son discours nous touche bien au-delà de son histoire : c’est le récit d’un passage à l’acte, de l’accouchement d’une œuvre dans la douleur, traversée de fulgurances d’une violente sincérité. « Pardonnez-moi » est le premier film d’une jeune réalisatrice à fleur de peau, qui nous prouve que faire du cinéma est aussi et surtout affaire de courage.

L’affiche de « Pardonnez-moi » est frontale (celle de « Polisse », son troisième film, sera du même style) ; l’adresse, directe. Pour son premier film Maïwenn annonce la couleur. Le discours sera brut ; l’esthétique, chaotique, bousculée. Peu de réalisateurs contemporains véhiculent une telle énergie, à vif. On pourrait citer Virginie Despentes, ou encore Isild le Besco, sa sœur.

En 2001, la comédienne Maïwenn Le Besco jouait au café de la gare un spectacle qu’elle avait elle-même mis en scène, « Le Pois chiche », dans lequel elle incarnait les membres de sa famille. Après un court-métrage (« I’m an actrice », 2004), elle écrit, (co)produit et se met en scène dans « Pardonnez-moi », long-métrage sur sa famille encore. Elle se lance d’abord seule dans la production du projet, transférant l’argent de son assurance-vie sur le compte d’une société ad hoc, créée pour l’occasion. Les Films du Kiosque la rejoignent ensuite et le film sort en salles en novembre 2006. Accueilli avec enthousiasme par la critique, le film reçoit deux nominations aux Césars 2007, Meilleur Premier film et Meilleur espoir féminin pour Maïwenn.

« Pardonnez-moi » est un film brutal sur la famille, celle de Violette (incarnée par Maïwenn elle-même), parcouru des thèmes de l’enfance, de la colère, du pardon. Maïwenn joue avec les outils du cinéma pour brouiller les pistes sur l’identité de ses personnages – surtout du sien - et décliner son histoire sur plusieurs niveaux, en multipliant les mises en abyme. Autofiction, fiction documentée, documentaire aux allures de fiction… le film se joue des catégories. « Pardonnez-moi », est le film de famille d’une jeune femme, sur une jeune femme qui veut faire un film sur sa famille.

Un film de famille, avec des personnages si caricaturaux et réalistes… à la fois



Très rapidement s’installe le thème du film de famille. Les images d’archives de l’enfance de l’héroïne, les petits films de famille tournés avec une caméra amateur. La chanson interprétée par Yves Montant, « Trois petites notes de musique », contient cependant l’annonce du retour impromptu de certains souvenirs :

Trois petites notes de musique
Ont plié boutique
Au creux du souv'nir
C'en est fini d'leur tapage
Ell's tournent la page
Et s'en vont dormir
Mais un jour sans crier gare
Ell's vous revienn'nt en mémoire

Et en effet, très vite, à la suite de ces images idylliques, porteuses d’une certaine nostalgie, survient le blocage, le problème. C’est le personnage du père (Pascal Greggory), dont Maïwenn/Violette enfant se refuse à parler. Le père fruste, crispé, rude. Le père a battu Violette enfant. C’est lui l’antihéros de son spectacle. Pour la féliciter, il ne lui offre pas le traditionnel bouquet de fleurs, non, mais un pain, comme un coup de poing dans la figure, comme il l’a toujours fait. Il n’est cependant pas présenté de façon univoque comme le monstre. C’est son père, après tout ! (s’exclame Violette devant son compagnon.) Dans le spectacle de Violette, si le père bègue et breton occupe une place centrale, il est aussi question de la mère, Lola (Marie-France Pisier). La mère, c’est une actrice, en un sens exhibitionniste, un peu comme tous les acteurs. Peut-être un peu pute aussi, comme la Lola de Jacques Demy, dont on aperçoit une affiche dans l’appartement de Violette. Après les parents, les sœurs. Billy (Hélène de Fougerolles), la sœur masculine, à qui revient souvent le rôle de conciliatrice entre pères et filles. Et Nadia, la cadette (Mélanie Thierry), celle qu’on envie, car elle a un autre père que ce salaud. « Pardonnez-moi », en bon film de famille, a ses secrets, ses révélations, ses coups de théâtre… Cet autre père, c’est Paul, qui réapparaît vingt ans plus tard. Il s’introduit dans la vie de cette famille par un mensonge, un subterfuge, en se faisant passer pour un journaliste auprès de Maïwenn. Mais très vite, l’entretien, miroir inversé de celui de Maïwenn/Violette enfant, voit les rôles redistribués. C’est Violette qui pose les questions, Paul qui passe aux aveux. C’est un drôle de père idéal, au bras duquel Violette s’imagine le jour de son mariage, dans un fantasme cocasse aux accents œdipiens, sur fond de la musique de « La Boum » ! (dont on voit aussi une affiche dans l’appartement). Il a tout de même abandonné sa fille vingt ans auparavant ; mais ce qui le rachète aux yeux de Violette, c’est sans doute que lui est venu demander pardon.

Les personnages sont certes caricaturaux, mais leur jeu n’est jamais empesé, grâce au parti pris de laisser une grande marge d’improvisation aux acteurs, qui repose sur une efficace dynamique d’action/réaction, où les répliques fusent, du tac au tac, comme au cours du repas d’anniversaire familial. La mise en scène elle aussi est heurtée (les techniciens ne savaient pas toujours à l’avance quoi filmer), et cherche à communiquer, d’après les mots de Maïwenn elle-même, l’ « imprévisibilité de la vie ». Le personnage de Violette déclare d’ailleurs son intention de mise en scène, lorsqu’elle se rend dans un magasin acheter sa caméra : « Non, pas de travellings… je veux que ça soit… comme ça ! », dit-elle en imitant le bouillonnement qu’elle a en tête.

Ce fameux repas de famille, où les vérités de chacun éclatent, pourrait devenir indigeste. Mais l’humour vient chaque fois à point nommé pour désamorcer la tension croissante. Le rot de Violette, l’anecdote des prénoms, l’entartage collectif sont des respirations nécessaires pour rendre supportable aux personnages comme au public la violence de cette histoire à la première personne.


La colère et le conflit comme moteurs du récit, la recherche du pardon comme apaisement

Ce n’est pas par hasard si les personnages crient, si l’héroïne bouscule. C’est son mode de fonctionnement, assumé : « Je suis comme ça », dit Violette à son compagnon. Ce comportement radical de Violette, et au-delà de Maïwenn elle-même, a quelque chose d’autodestructeur. Elle se met volontiers en danger, et provoque son entourage pour faire jaillir les non-dits. Si Violette a décidé de s’acheter une caméra, ce n’est pas pour filmer de paisibles moments familiaux. Cela transparaît clairement lorsqu’elle s’adresse pour la première fois à son compagnon avec la caméra, non pour qu’il s’attarde sur leur première rencontre (sujet qu’elle aborde d’abord, pour l’évacuer aussitôt), mais pour qu’il explique pourquoi il l’a faite avorter il y a un an.

Ce qu’elle recherche, c’est le pardon. C’est-à-dire qu’elle veut que son père lui demande pardon, pour les violences (physiques, et psychologiques) qu’il a commises envers elle. Il y a quelque chose de vain dans cette quête. Elle a beau le confronter à sa version des faits –par un violent spectacle de poupées, en n’hésitant pas à souiller ce jouet d’enfant de liquide rouge sang-, la situation semble sans issue. Le titre même du film, « Pardonnez-moi », est peut-être ce que Violette voudrait entendre, peut-être aussi une manière pour elle de s’excuser à l’avance pour son entreprise, pour avoir osé exhumer le passer et exposer les tabous familiaux aux yeux de tous.

« Pardonnez-moi », autofiction ? l’enjeu de l’autobiographie

La ressemblance entre Violette et Maïwenn est troublante, et l’ambiguïté entre ces deux personnages (ne font-ils qu’un ?) permanente. On ne peut s’empêcher pendant tout le film de se demander si ce qui nous est montré est réel, autobiographique ou non, s’il s’agit de documentaire ou de fiction.

On est tenté de croire au documentaire, parce qu’on est d’une certaine manière dupe des déclarations du personnage principal, Violette, interprété par la réalisatrice elle-même, qui dit vouloir « faire un documentaire sur sa famille », et prétend filmer absolument tout (même quand elle va aux toilettes !). Aussi parce que les essais de Maïwenn (à moins qu’il ne s’agisse de Violette ?) enfant parsèment le film sans plus d’autre explication –de manière extra-diégétique, sans être justifiés par le déroulement logique du récit. Le style heurté de la mise en scène, et la spontanéité du jeu d’acteurs, évoqués plus haut, cherchent à donner l’illusion du réel et de la vie. Enfin, par ce qu’on a pu entendre des déclarations de Maïwenn-réalisatrice, étonnamment proches de celles de son personnage : elle a été maltraitée enfant, et veut surmonter ce traumatisme en faisant un film.

Et pourtant, il s’agit bien d’une fiction, avec des acteurs, qui interprètent des personnages, avec Maïwenn pour chef d’orchestre. En interview Maïwenn a déclaré que ce film est peut-être un fantasme : celui de faire un documentaire sur sa famille. Comme elle n’a pas réussi à le faire, elle fait ce film de fiction sur cette fille qui fait un documentaire sur sa famille… Violette est en quelque sorte un moi idéalisé, qui agirait comme Maïwenn aurait souhaité le faire en réalité.

D’aucuns disent que toute autobiographie est forcément une autofiction (terme utilisé en 1977 par Serge Doubrovsky en littérature). Ici Maïwenn fait des emprunts assumés à son propre vécu pour donner vie à un personnage annoncé comme fictif. Elle ira plus loin dans l’ambiguïté dans son film suivant, « Le Bal des actrices » (2007), où son personnage s’appelle également Maïwenn ! Toutefois elle ne perd pas de vue l’enjeu de tout film, d’autant plus s’il est largement autobiographique : intéresser le public –« La seule question que se pose l’autobiographie dans le cinéma c’est : peut-on faire du cinéma qui intéresse tout le monde avec des histoires qui ne regardent que soi et ses proches ? » « Je répondrais spontanément que les histoires personnelles sont les histoires de tout le monde, donc oui » (dixit Violette).



Les mises en abymes : Maïwenn et Violette, actrices et metteurs en scène

Le film multiplie les niveaux de récits et les mises en abyme. Maïwenn et son double fictionnel, Violette, sont toutes deux à la fois actrices et metteur en scène. Au théâtre, d’abord, où Violette est, tout comme Maïwenn l’a été, elle-même actrice et metteur en scène de son spectacle. Violette met ensuite en scène son double (Violette enfant) dans un spectacle de poupées, devant son père muet et crispé. Une scène qu’elle n’a pas mis dans son spectacle, car trop violente… mais que Maïwenn met dans son film ! Violette aussi se fait des films : ses fantasmes, où s’expriment ses désirs profonds, et notamment la recherche du père idéal. Enfin, et surtout, il y a le film (tourné par Violette) dans le film (tourné par Maïwenn). Les images qui proviennent de la caméra de Violette, en noir et blanc, sont intégrées au film de Maïwenn. A ces images s’ajoutent celles issues d’une caméra invisible, qui capte les images de Violette en train de filmer, de la monteuse en train de monter…

En somme Lola a raison de dire que Violette, sa fille, est une manipulatrice. Elle met la réalité (sa réalité) en scène. Par exemple, lorsqu’elle manigance le coup de théâtre de l’arrivée de Paul au moment du repas familial.

Tout ce dispositif sert de moyen à Violette pour faire naître la vérité, et également de bouclier face à ses interlocuteurs –avec sa caméra, elle se sent plus forte. Maïwenn dira d’ailleurs que d’avoir accouché de ce film, en quelque sorte, l’aura rendue plus forte.

Violette, Maïwenn, pourquoi ce film ? (le film comme dépassement)

…pourrait-on demander en écho à la question reprise par la mère. 

Violette dit chercher la vérité, notion fortement mise en question par son compagnon, qui souligne la nécessaire subjectivité du point de vue. Il remet également en question les déclarations de Violette sur son passé ; elle se fracasse par la suite une bouteille sur la tête « pour se rappeler » et écarter les accusations de mythomanie. Violette dit également vouloir faire ce film pour son enfant (au générique de fin, le film est d’ailleurs dédicacé aux enfants de Maïwenn : « pour Shanna, pour Diego »), et aussi et surtout, pour elle-même, parce que le poids de son passé l’empêche de vivre. C’est en réglant ses comptes avec sa famille qu’elle pourra véritablement en créer une.

A la fin, la fille de Violette a un an, le film doit se terminer, bien que tout ne soit pas résolu. Comme le dit sa psy, son père ne lui demandera jamais pardon. On assiste en quelque sorte à l’échec du projet de recherche du pardon paternel par le moyen de la violence et de la provocation. Il s’agit en revanche d’une réussite artistique, et plus largement personnelle, car le personnage, et au-delà la réalisatrice, prennent conscience du moteur de leur inspiration : ce passé si douloureux, ce père qui a frappé, leur a donné l’ « énergie de l’artiste qui métabolise la souffrance », selon l’expression de la psy.

En interview, Maïwenn dira que pour elle la résilience, c’est la capacité des victimes à se servir de leurs cicatrices pour en faire une force. Cela rejoint l’idée du film comme thérapie qui, s’il est loin de tout résoudre, libère malgré tout une énergie communicative.

Aujourd’hui applaudis par les uns, décriés par les autres, les films de Maïwenn, si largement associés à la personnalité de la réalisatrice, échappent quoi qu’on en dise au formatage d’un certain cinéma français. Prix du jury cette année à Cannes, « Polisse » lui non plus ne laisse pas indifférent et vient encore renforcer le clivage entre admirateurs et détracteurs. Jusqu’à présent Maïwenn est restée fidèle à certains de ses thèmes (l’enfance, le jeu entre documentaire et fiction, les mises en abyme), tout en sachant les renouveler. Ses futurs projets sont encore inconnus à ce jour, mais continueront, nous l’espérons, à surprendre et nous bousculer… 

Maiwenn

De son vrai nom Le Besco, Maiween est née en 1976, d’une mère journaliste et comédienne et d’un père breton guitariste classique. Issue d’une famille nombreuse comptant 4 enfants, dont Isild Le Besco, Maiwenn passe sa jeunesse dans un petit appartement à Belleville où  l’intimité n’est pas toujours préservée…

Dès sa naissance, sa mère décide de faire d’elle une star et la pousse à courir les castings, à se tenir droite, « les seins en avant », à porter des mini-jupes, à sortir le soir tout en pratiquant l’équitation, la danse et à suivre des cours d’anglais… Et surtout à présenter tous les concours possibles : de l’Opéra de Paris au Conservatoire… Sans préparation, ultra maquillée, poussée à tout tenter, Maïwenn suit les fortes directives de sa mère, sans réelle passion ni envie. Elle témoignera de cette période dans son premier Court-Métrage, I am an actrice  (2001), histoire d’une jeune adolescente mal dans sa peau, qui ne rêve que de s’occuper de chevaux, forcée par une mère exubérante et provocante à courir les castings, non préparée et ainsi à connaître l’humiliation… Maïwenn y incarne le rôle de la mère aux côtés de sa propre fille.

La jeunesse de Maïwenn est donc marquée par cette forte présence et ascendance maternelle et par la brutalité de son père, dont elle témoignera dans son premier long-métrage Pardonnez-moi, en 2006.

Elle débute sa carrière d’actrice en 1981. En 1983, elle obtient le rôle d’Isabelle Adjani enfant dans L’été meurtrier (Jean Becker) puis enchaînera les films et téléfilms (L'état de grâce de Jacques Rouffio ;  Cinématon no 994 de Gérard Courant – L'autre nuit de Jean-Pierre Limosin – La famille Ramdam de Christiane Lehérissey – Lacenaire de Francis Girod) jusqu’en 1991, avec son premier rôle principal dans La gamine de Hervé Palud avec Johnny Hallyday. Cette même année, à l’occasion de la remise du César de la meilleure actrice pour Anne Parillaud dans Nikita, elle rencontre Luc Besson.


Agée alors de 16 ans, elle décide de suivre Luc Besson à Beverly Hills, de mettre sa carrière en stand by (surtout de ne plus « faire » l’actrice…) et donne naissance à une fille, Shanna Besson.

En 1994, elle revient finalement au Cinéma sous les traits de la Diva Plavalaguna dans « Le cinquième élément ». Luc Besson et elle se sépareront peu après la fin de la production.

De retour en France à la fin des années 90, elle relance sa carrière d’actrice au début des années 2000 en jouant entre autre dans le film de Alexandre Aja  Haute tension, et les films de Claude Lelouch  Les Parisiens et Le courage d’aimer. En parallèle, dès 2001, elle débute son travail d’écriture et de réalisation, avec son court métrage I am an actrice et la pièce de théâtre Le pois chiche en 2003, où elle incarne les différents personnages qui ont bercé son enfance à Belleville. Ce sera un véritable succès critique et public et lancera Maïwenn dans le développement et la réalisation de son premier long métrage Pardonnez-moi, sorti en 2006, que nous vous proposons de découvrir dans le cadre de notre Ciné-Club.



Remarquée par la force et sensibilité de son cinéma à la première personne, elle revient deux ans plus tard, en 2008, avec Le bal des actrices, entre documentaire et fiction, onirisme et  dénonciation. Maïwenn, se met encore une fois en scène, dans son « propre » rôle de réalisatrice voulant rendre compte des difficultés et solitudes d’une actrice : entre l’oubli, les castings ratés, la perte de vocation, la vieillesse, ou les challenges pour rester au top… Marina Fois, Karine Viard, Charlotte Rampling, Romane Boringer, Estelle Lefebure, Jeanne Balibar, actrices dans la « vraie » vie, acceptent d’incarner leur rôle dans des situations inventées (ou pas ?) par notre réalisatrice…

Cette année, sort son troisième long métrage Polisse, où là encore, le procédé cinématographique chatouille nos frontières et puise dans les thématiques de la violence et l’enfance (elle y incarne une photographe qui, à l’occasion d’un reportage, se retrouve en observation au sein de la brigade des mineurs), et connaît la reconnaissance de ses pairs avec l’obtention du Prix Spécial du Jury du Festival de Cannes 2011.

Parler de Maïwenn sans évoquer ses influences ne saurait être un portrait complet ! Nous avons déjà évoqué ses propres expériences comme moteur de sa création. En effet, sur sa vie et ses rencontres, elle semble porter un regard qui est un doux mélange entre brutalité et onirisme. Il s’agirait de sa recette pour rendre le réel sensible et touchant. On ne peut alors s’empêcher de penser à Pialat qui avec un humour froid et tendre a pu s’intéresser aux mêmes sujets que notre réalisatrice. D’ailleurs, au moment de Pardonnez-moi, les critiques ont tout de suite fait le lien avec A nos amours. Sur la page inspirations de son site internet (http://www.maiwenn.com/inspirations.html) existe une catégorie Monsieur Pialat dans laquelle figure le film du réalisateur Police (1985). Remarqué à l’époque par sa nouveauté de thème et de traitement : pour la première fois un réalisateur s’efforçait de retracer avec réalisme la vie d’une brigade des stups. Pour la première fois aussi un réalisateur s’était fait accepter dans ce milieu en observateur. L’écho avec le troisième long-métrage de Maïwenn, Polisse, actuellement sur les écrans, est très donc très fort.

Avec trois longs-métrages, Maïwenn a su imposer un univers qu’elle renouvelle à chaque fois avec intelligence (entre voyeurisme du réalisateur et exhibitionnisme de l’acteur). Elle met, et se met, en scène en puisant sans cesse dans son passé, ses expériences, ses croyances. Elle nous a surtout démontré ce qu’elle affirme dans Pardonnez-moi, comme un manifeste : « La seule question que se pose l’autobiographie dans le cinéma c’est : «Peut-on faire du cinéma qui intéresse tout le monde avec des histoires qui ne regardent que soi et ses proches?» Je répondrais spontanément que les histoires personnelles sont les histoires de tout le monde donc oui.». 

Les couleurs de la toile - Années 2000 - Une ouverture réussie

Jeudi 6 octobre dernier, vous étiez 80 personnes venues au Studio des Ursulines pour venir ouvrir le bal de cette nouvelle saison.

En présence de Jean-Sébastien Chauvin, critique aux Cahiers du Cinéma, vous avez pu découvrir ou redécouvrir sur grand écran Donnie Darko de Richard Kelly et participez au débat ainsi qu'au traditionnel apéritif de la première séance.

L'équipe des Couleurs de la Toile (Francesco, Emilie, Damien, Claire et Emeric) était très heureuse de repartir pour une nouvelle aventure avec autant de gens et prépare déjà la prochaine séance qui présentera le film Pardonnez-moi de Maïwenn.

En attendant le jeudi 3 novembre, vous pouvez retrouver les photos et la vidéo de la première séance :











Et si vous n'avez pas pu venir, vous pouvez toujours vous plonger dans l'univers de Donnie Darko et de Richard Kelly sur ces pages :


Donnie Darko

Richard Kelly 

A bientôt,

Les Couleurs de la Toile

Richard Kelly, prophète maudit

En 2001, une nouvelle voix s’élève dans le cinéma américain. Richard Kelly est jeune, passionné et têtu, suffisamment pour avoir mis sur pied son premier long métrage, Donnie Darko, malgré un budget limité (4,5 millions de dollars). Il n'a que 25 ans, deux courts métrages à son actif et un diplôme de l’université de Californie du Sud, mais il ne cède sur rien. Le film sera un échec commercial à sa sortie, en octobre 2001. Car dans la foulée du 11 septembre, le public n’a pas la tête aux ovnis cinématographiques et Donnie Darko peine à dépasser les 500 000 dollars de recettes. La première réception fut décevante mais nécessaire pour donner peu à peu son statut culte au film. Car la rumeur se répand et les projections spéciales - dont les séances de minuit à Manhattan - attirent cette fois les spectateurs. Après la malédiction initiale, le succès vient avec retard comme en témoignent les ventes du DVD et la sortie en salles de la version Director’s Cut. Avec ce coup d’essai, Richard Kelly est parvenu à convaincre de sa vision personnelle du septième art et de son réel talent de cinéaste.

Le jeune homme se lance alors dans un nouveau projet, Southland Tales. Il s’agit d’une idée originale qui reprend des éléments aperçus dans Donnie Darko sous une forme très différente. Les failles temporelles, les vortex, les univers parallèles qui s’entrechoquent, la critique des Etats-Unis (avec cette fois toute la paranoïa propre à l'après-11 septembre), la quête identitaire : les spectateurs du premier long métrage de Kelly ne seront pas entièrement perdus. Mais le traitement n’a rien d’équivalent. En faisant appel à des acteurs improbables (Dwayne Johnson alias The Rock, Seann William Scott alias Stifler dans American Pie, Justin Timberlake en narrateur ou encore Sarah Michelle Gellar alias Buffy), Richard Kelly prend le contrepied des productions hollywoodiennes classiques plus confiantes dans des grosses têtes d’affiches reconnues que dans des acteurs de seconde zone. L’homme plonge dans de la pure science-fiction d’anticipation et travaille son récit à la manière d'un comics. L’histoire contient de multiples ramifications dans un monde futuriste semblant par moments fourre-tout et délirant. Kelly ajoute quelques effets visuels surprenants et une mise en scène qui peut rappeler les réalisations de Paul Verhoeven (Starship Troopers). Le film est audacieux mais plus difficile d’accès. Etonnamment, Southland Tales se retrouve sélectionné en compétition officielle à Cannes. Tout semble promettre une belle vie  à ce deuxième long métrage, mais le Festival ne se déroule pas comme prévu. La version cannoise ne convainc pas et Southland Tales, qui sera pourtant remonté après son passage sur la Croisette, ne trouve aucun distributeur en France. Il sortira uniquement en DVD sur le territoire français (en 2009 !) et ne sera logiquement vu que par les amateurs de Richard Kelly et quelques aficionados du genre. Sorti en Amérique en novembre 2007,  le film avait fait un véritable four (275 000 dollars de recettes pour un budget initial évalué entre 15 et 17 millions de dollars). A nouveau, ce parcours maudit donne à Southland Tales une dimension culte. Le film va au bout de la dimension prophétique et christique du récit : le personnage central, Jericho Cane, écrit un scénario prémonitoire de l’Apocalypse à venir, tandis qu’un jeune soldat traumatisé prend peu à peu la figure de sauveur de l’humanité. 

Alors que tout pouvait laisser croire que Richard Kelly était fini, il parvient à convaincre des producteurs pour son nouveau projet (adapté d’une nouvelle de Richard Matheson) dont il est une nouvelle fois scénariste. Cette fois-ci, la production fait appel à une star populaire pour se garantir de la visibilité. Kelly offre à Cameron Diaz l’un de ses rôles les plus trépidants. S’il s’agit toujours de science-fiction, le film s'ancre dans le décor concret des années 1970 et apparaît comme son long-métrage le plus mature, évitant l’éclatement des intrigues et les effets de réalisation trop tapageurs. Le scénario tourne à nouveau autour de l’Apocalypse, mais se centre davantage sur un drame familial. et un suspense. The Box semble donc plus grand public mais finit par tomber dans une nouvelle machinerie fantastico-démiurgique que certains n’apprécieront pas. Plus sage mais pas moins ambitieux  que Southland Tales, The Box réalise ne réalise pourtant que 15 millions de dollars au box-office américain et divise la critique. Les recettes internationales sauvent le film et Richard Kelly d’un nouveau désastre : le film rapporte au total 32 millions de dollars pour un budget de 30 millions.

Malgré son incapacité à convaincre entièrement la critique et le public de son talent, Richard Kelly poursuit sa route en persuadant Eli Roth (réalisateur de Hostel) de l’aider à produire avec Sean Mc Kittrick  (producteur historique de Kelly) son nouveau film, Corpus Christi, un récit autour d’un vétéran déséquilibré de la guerre d’Irak et de sa relation étrange avec son patron. Si l’on retrouvera sans aucun doute des éléments propres à l’univers de Richard Kelly (un personnage psychologiquement instable comme dans Donnie Darko, un vétéran comme dans Southland Tales), Corpus Christi devrait être plus grand public afin de donner à Kelly l’occasion d’asseoir un statut de réalisateur confirmé.

Malgré sa carrière fulgurante et encore courte, Richard Kelly a construit une œuvre à part dans laquelle le cinéaste n’hésite jamais à apporter des éléments personnels. Pour exemple, la dernière séquence mystérieuse de Donnie Darko (le salut de la main entre Gretchen et la mère de Donnie) renvoyait à un souvenir, une sensation que Kelly avait eue lors d’un voyage entre amis où une  inconnue lui avait fait signe de la main. The Box apparaît à ce titre comme le film le plus intime du réalisateur puisqu’en choisissant comme décor les années 1970 avec un père salarié de la NASA, Richard Kelly plonge dans sa propre enfance (son père ayant lui-même travaillé pour la NASA). En dix années, le cinéaste n’a jamais cédé aux facilités de l’industrie hollywoodienne et a conservé une intégrité artistique qui lui vaut d’être apprécié par les uns autant que méprisé par les autres. Son amour pour la science-fiction, ses envies d’hommages à tous les cinémas et récits qui ont nourri sa vision du monde, ses tentatives audacieuses font de lui un cinéaste fascinant, prophète sous bien des angles, mais maudit par son incapacité à s'attirer la confiance de l'industrie hollywoodienne. Richard Kelly demeure encore à l’aube de sa carrière de réalisateur, mais pourrait bien marquer sa génération avec une filmographie brillante, inclassable et tendancieuse. Qui sait dans quel terrier le lapin nous entraînera… 

Donnie Darko, approche d’un ovni

Une ouverture ambivalente

Le générique s’affiche dans une écriture arabic (Harem selon Richard Kelly) conférant d’entrée de jeu un effet mystique tandis que des grondements orageux se font entendre. Quelque chose de sombre se joue avant même l’arrivée des images. Alors que la première séquence s’ouvre sur une vue magnifique d’un vaste paysage matinal, bercé par une légère brume et le soleil perçant, le son de l’orage continue un temps. Cet effet crée d’emblée une sensation étrange, un décalage dans la perception du monde appréhendé. Dans un lent mouvement fluide, la caméra avance le long d’une route accompagnée d’une musique sourde et vient se poser derrière un jeune garçon allongé sur le bord de la voie. La composition du cadre permet de développer une sorte de clair-obscur laissant présager à nouveau un doublement du monde. Un piano suit alors le réveil du jeune homme, Donnie Darko, tandis que la caméra tourne autour de lui pour se caler devant son visage hébété. Un contrechamp revient sur l’époustouflant paysage de la vallée où se devine en contre-bas une petite ville paisible. Donnie Darko se lève et vient casser la tranquillité de la vue. Puis se tournant à moitié vers la caméra, le garçon se met à rire. Ce rire énigmatique ouvre sur de multiples interprétations qui vont se renforcer durant le film. Donnie Darko se remémore-t-il la façon dont il est arrivé sur cette route, se réveille-t-il rassuré d’un cauchemar, est-il heureux d’avoir accompli un acte important ? C’est à ce moment précis que le titre du film apparaît se ponctuant par un fondu au blanc. La séquence introductive se clôt sur ce fondu. Richard Kelly, réalisateur du film Donnie Darko, témoigne d’une vraie vision de cinéma dès cette ouverture en insufflant la dualité, l’atmosphère énigmatique et le personnage central autour duquel tout le récit va se nouer.

Confusion des mondes, confusion des genres

Richard Kelly joue constamment sur cette imbrication des mondes et la dualité de l’univers dans lequel évolue Donnie Darko. Reprenant les codes du teen-movie, que ce soit par l’incursion dans le monde du lycée, les premiers émois adolescents, la crise familiale ou les rivalités entre frère et sœur (rehaussées par le choix de prendre pour acteurs Jake et Maggie Gyllenhaal), Richard Kelly construit une histoire tout en déconstruisant certains éléments traditionnels du genre (le rapport au professeur, la futilité du monde lycéen). Donnie Darko ne se restreint nullement à une simple chronique lycéenne. Le lapin horrifique, la période où se déroule le long métrage (Halloween est annoncé dès le début du film), quelques éléments propres au film d’horreur (le couteau, la hache) viennent contrebalancer l’axe initial. En y ajoutant par ailleurs du science-fictionnel fantastique (un réacteur d’avion dont on ignore la provenance, des vortex temporels et une théorie sur l’espace temps), du thriller psychologique autour de la dimension schizophrénique de Donnie Darko ainsi qu’une romance tragique, Richard Kelly tisse un maillage référentiel tortueux et foisonnant. L’équilibre n’était pas évident, mais offre au film un caractère unique. La fausse suite qui viendra quelques années plus tard, S. Darko (film commercial surfant sur le premier opus), confirme l’originalité de l’œuvre initiale. Si cette suite médiocre reprend tous les éléments du premier, le réalisateur (Chris Fisher) ne comprend jamais l’essence de Donnie Darko et ne livre qu’un récit risible.

Richard Kelly s’empare d’un récit en apparence classique et y insuffle une vision du monde toute personnelle issue d’une culture fortement orientée par la science fiction. La voix de Frank, le lapin, survient très rapidement dans le récit laissant envisager la folie douce de Donnie Darko. Peu de temps après, le réacteur d’un avion atterrit sur la maison des Darko, écrasant la chambre de l’adolescent. Ces deux éléments posent l’enjeu du film. Dans un cas Donnie Darko a survécu par miracle à sa propre mort et évolue dans un monde alternatif où il est encore en vie ; dans l’autre, le lapin ne le détourne pas de sa destinée et Donnie périt dans l’accident. Qu’il s’agisse d’un délire purement schizophrénique ou d’un incident dans le monde avec cette sorte de faille temporelle de l’univers, Donnie Darko se doit de régler les problèmes pour rétablir un équilibre. Détruire le monde pour mieux le sauver, voilà la mission qui incombe au jeune homme et que personne autour de lui ne semble comprendre, comme en témoigne la scène où Donnie déconstruit une conversation entre deux de ses amis sur les Schtroumpfs en démontrant pourquoi les êtres bleus sont asexués. La scène pourrait paraître anecdotique mais résume le rôle du protagoniste devant offrir une vision claire du monde que ses congénères semblent incapables de percevoir. Mais Donnie Darko est loin d’être un héros pieux et demeure un adolescent avec ses doutes, ses premières fois et ses pulsions. Le film se déroule dans la petite ville de Middlesex, ce qui dès le départ laisse Donnie évoluer dans un environnement libidineux. Ces pulsions ressortent à chaque séance de psychothérapie, Donnie étant libéré du surmoi psychologique. La libération psychologique est par ailleurs un élément au cœur de la réalité alternative du film. Les phases de somnambulisme où Donnie accomplit ses actions, les vortex sortant du nombril du personnage pour l’attirer impulsivement vers sa destination sont autant de périodes où le « ça » prend le pouvoir sur la conscience policée du héros. A ce titre, il est possible de remarquer que la mère de Donnie Darko, lors de sa première apparition, lit un roman de Stephen King (dont Richard Kelly est un grand admirateur) intitulé « It » (ça), ce qui annonce d’une façon subtile la suite du récit. La double interprétation possible liée aux deux mondes parallèles qui se mettent en place offre au film un vivier pour construire progressivement une critique de l’Amérique, comme le font souvent les films de genre. La première réplique du film est « je vote pour Dukakis », candidat adversaire de Bush lors de la présidentielle de 1988, époque où le film prend racine. Michael Dukakis reviendra plusieurs fois dans le film. Ces allusions confèrent au long métrage une dimension politique certaine.

Le choix de prendre pour décor l’Amérique des années 1980 permet de critiquer de façon plus générale une société que le personnage de Donnie considère comme sclérosée. On y voit la faillite du système éducatif, de l’autorité morale, les dérives d’un puritanisme malsain provoquant des perversions comme la pédophilie. En parallèle, la société américaine des années 2000 se révèle tout aussi puritaine et dérangée que vingt ans plus tôt. Sorti en octobre 2001, Donnie Darko trouvait un écho funèbre dans les attentats du 11 septembre avec la présence d’un avion accidenté. Il s’agissait d’une pure coïncidence de fortune puisque Richard Kelly n’envisage jamais son film sous l’angle de la paranoïa, d’un danger sous-jacent imminent comme le feront nombre de films post 11 septembre. Donnie Darko appartient davantage à la catégorie des films apocalyptiques (qui furent nombreux au tournant du siècle), mais emprunte une voie particulière. Comme dans les autres films de Richard Kelly, l’apocalypse s’apparente avant tout à la fin d’un monde (plus que la fin du monde en soi), au lever de voile sur une réalité que les protagonistes peinaient à accepter ou à percevoir. La dimension chrétienne se révèle très forte dans Donnie Darko (tout comme dans son second métrage, Southland Tales). Le compte à rebours de la fin du monde énuméré par le lapin Frank ne permet jamais de savoir quel monde va finir, le monde parallèle ou le véritable univers. L’apocalypse est avant tout propre au personnage de Donnie Darko. La dimension christique du personnage prend forme avec cette apocalypse. Les derniers actes du personnage peuvent être interprétés de plusieurs façons. Donnie accepte de se sacrifier à la fois pour sauver celle qu’il aime, mais également pour remettre en ordre le chaos crée par l’incursion du monde parallèle. Il ne s’agit que d’une des interprétations possibles puisque Richard Kelly s’efforce de laisser suffisamment d’ambiguïtés pour ne pas permettre à une seule piste de l’emporter.

Naissance d’un cinéaste et construction d’un film culte

Richard Kelly livre avec Donnie Darko une œuvre sans concession où il laisse libre court à sa vision du monde. Très construit dans son scénario, Donnie Darko fait preuve d’une mise en scène tout aussi réfléchie. Pour représenter l’incursion dans une temporalité et un monde divergent de la réalité, Richard Kelly recourt à des effets simples, mais riches de sens. Ainsi lorsque Donnie débarque de son bus scolaire, la caméra est tournée d’une façon horizontale avant de reprendre sa position normale, ce qui symbolise le déséquilibre de l’univers dans lequel il évolue. Par la suite, l’arrivée dans le lycée est rythmée par des effets de ralentis qui contribuent à renforcer l’impression d’une temporalité parallèle. Richard Kelly n’a pas pour ambition avec Donnie Darko de révolutionner le genre, mais plutôt d’y apporter une évolution. Il parsème son film de références à d’autres cinéastes et crée ainsi une intertextualité ample qui favorise le foisonnement des interprétations. Le Lapin évoque sans équivoque le Alice de Lewis Carroll, autre personnage en proie à la convergence de deux univers. Richard Kelly cite aussi David Lynch pour son univers étrange, Andrei Tarkovski et Le Sacrifice, Martin Scorsese et La dernière tentation du Christ. Evil Dead et Halloween pour l’aspect horrifique ou encore Steven Spielberg et son E.T. l’Extraterrestre (dans lequel jouait déjà Drew Barrymore) avec notamment une séquence où les personnages sont à vélo. On pourrait entrevoir également une citation indirecte à Gregg Araki, autre réalisateur filmant l’adolescence, les troubles de la société américaine et l’apocalypse, en faisant appel pour jouer le rôle de Frank à James Duval, acteur fétiche de Gregg Araki. Richard Kelly use également de références littéraires variées dont Stephen King, Graham Greene ou Richard Adams. Loin de devenir un simple catalogue d’hommages et de citations, Donnie Darko intègre l’intertextualité pour nourrir son propos. Pour un premier film réalisé à l’âge de 25 ans, le long métrage se révélait d’une maturité prometteuse que les deux films suivants ont confirmée. Mais ceci n’explique pas vraiment ce qui transforma Donnie Darko en film culte des années 2000.

Présenté au festival de Sundance en janvier 2001, Donnie Darko est un film difficile à soutenir. Richard Kelly a bataillé pour convaincre des producteurs de lui faire confiance. Il eut la chance de rencontrer Jason Schwartzman et Drew Barrymore qui vont appuyer son projet, mais le film peine à trouver un distributeur. Durant Sundance, il crée une certaine effervescence, tout comme Hedwig and the Angry Inch de John Cameron Mitchell, mais cela ne suffit pas. Newmarket films distribuera le film en octobre 2001, un mois après les attentats dans une ambiance morose qui n'encourage personne à se plonger dans un voyage sombre et délirant au cœur de la psyché d’un adolescent. Richard Kelly critiquera les choix marketing du distributeur. Le film s’installe cependant dans quelques salles ciblées et fonctionne bien durant les séances de minuit. Le bouche à oreille fait le reste, bien que le film ne soit déjà plus en salle. La période est encore réduite en matière de téléchargement et la sortie du DVD permettra au film de trouver une nouvelle vie (les ventes rapportant 20 fois les recettes cinéma). La réputation de film culte se construit alors par cette propagation tranquille, notamment chez les jeunes générations. Richard Kelly décidera de ressortir son film en version Director’s Cut quelques années plus tard, livrant certaines clefs dans la compréhension de l’oeuvre. Sans doute, les difficultés initiales du film permirent au public de mieux se l’approprier pour en faire un incontournable du genre. Sous sa facture classique et malgré les références multiples, Donnie Darko apparaît comme un film marquant des années 2000 qui continue à garder fraîcheur et substance 10 ans après sa sortie.