En 2001, une nouvelle voix s’élève dans le cinéma américain. Richard Kelly est jeune, passionné et têtu, suffisamment pour avoir mis sur pied son premier long métrage, Donnie Darko, malgré un budget limité (4,5 millions de dollars). Il n'a que 25 ans, deux courts métrages à son actif et un diplôme de l’université de Californie du Sud, mais il ne cède sur rien. Le film sera un échec commercial à sa sortie, en octobre 2001. Car dans la foulée du 11 septembre, le public n’a pas la tête aux ovnis cinématographiques et Donnie Darko peine à dépasser les 500 000 dollars de recettes. La première réception fut décevante mais nécessaire pour donner peu à peu son statut culte au film. Car la rumeur se répand et les projections spéciales - dont les séances de minuit à Manhattan - attirent cette fois les spectateurs. Après la malédiction initiale, le succès vient avec retard comme en témoignent les ventes du DVD et la sortie en salles de la version Director’s Cut. Avec ce coup d’essai, Richard Kelly est parvenu à convaincre de sa vision personnelle du septième art et de son réel talent de cinéaste.
Le jeune homme se lance alors dans un nouveau projet, Southland Tales. Il s’agit d’une idée originale qui reprend des éléments aperçus dans Donnie Darko sous une forme très différente. Les failles temporelles, les vortex, les univers parallèles qui s’entrechoquent, la critique des Etats-Unis (avec cette fois toute la paranoïa propre à l'après-11 septembre), la quête identitaire : les spectateurs du premier long métrage de Kelly ne seront pas entièrement perdus. Mais le traitement n’a rien d’équivalent. En faisant appel à des acteurs improbables (Dwayne Johnson alias The Rock, Seann William Scott alias Stifler dans American Pie, Justin Timberlake en narrateur ou encore Sarah Michelle Gellar alias Buffy), Richard Kelly prend le contrepied des productions hollywoodiennes classiques plus confiantes dans des grosses têtes d’affiches reconnues que dans des acteurs de seconde zone. L’homme plonge dans de la pure science-fiction d’anticipation et travaille son récit à la manière d'un comics. L’histoire contient de multiples ramifications dans un monde futuriste semblant par moments fourre-tout et délirant. Kelly ajoute quelques effets visuels surprenants et une mise en scène qui peut rappeler les réalisations de Paul Verhoeven (Starship Troopers). Le film est audacieux mais plus difficile d’accès. Etonnamment, Southland Tales se retrouve sélectionné en compétition officielle à Cannes. Tout semble promettre une belle vie à ce deuxième long métrage, mais le Festival ne se déroule pas comme prévu. La version cannoise ne convainc pas et Southland Tales, qui sera pourtant remonté après son passage sur la Croisette, ne trouve aucun distributeur en France. Il sortira uniquement en DVD sur le territoire français (en 2009 !) et ne sera logiquement vu que par les amateurs de Richard Kelly et quelques aficionados du genre. Sorti en Amérique en novembre 2007, le film avait fait un véritable four (275 000 dollars de recettes pour un budget initial évalué entre 15 et 17 millions de dollars). A nouveau, ce parcours maudit donne à Southland Tales une dimension culte. Le film va au bout de la dimension prophétique et christique du récit : le personnage central, Jericho Cane, écrit un scénario prémonitoire de l’Apocalypse à venir, tandis qu’un jeune soldat traumatisé prend peu à peu la figure de sauveur de l’humanité.
Alors que tout pouvait laisser croire que Richard Kelly était fini, il parvient à convaincre des producteurs pour son nouveau projet (adapté d’une nouvelle de Richard Matheson) dont il est une nouvelle fois scénariste. Cette fois-ci, la production fait appel à une star populaire pour se garantir de la visibilité. Kelly offre à Cameron Diaz l’un de ses rôles les plus trépidants. S’il s’agit toujours de science-fiction, le film s'ancre dans le décor concret des années 1970 et apparaît comme son long-métrage le plus mature, évitant l’éclatement des intrigues et les effets de réalisation trop tapageurs. Le scénario tourne à nouveau autour de l’Apocalypse, mais se centre davantage sur un drame familial. et un suspense. The Box semble donc plus grand public mais finit par tomber dans une nouvelle machinerie fantastico-démiurgique que certains n’apprécieront pas. Plus sage mais pas moins ambitieux que Southland Tales, The Box réalise ne réalise pourtant que 15 millions de dollars au box-office américain et divise la critique. Les recettes internationales sauvent le film et Richard Kelly d’un nouveau désastre : le film rapporte au total 32 millions de dollars pour un budget de 30 millions.
Malgré son incapacité à convaincre entièrement la critique et le public de son talent, Richard Kelly poursuit sa route en persuadant Eli Roth (réalisateur de Hostel) de l’aider à produire avec Sean Mc Kittrick (producteur historique de Kelly) son nouveau film, Corpus Christi, un récit autour d’un vétéran déséquilibré de la guerre d’Irak et de sa relation étrange avec son patron. Si l’on retrouvera sans aucun doute des éléments propres à l’univers de Richard Kelly (un personnage psychologiquement instable comme dans Donnie Darko, un vétéran comme dans Southland Tales), Corpus Christi devrait être plus grand public afin de donner à Kelly l’occasion d’asseoir un statut de réalisateur confirmé.
Malgré sa carrière fulgurante et encore courte, Richard Kelly a construit une œuvre à part dans laquelle le cinéaste n’hésite jamais à apporter des éléments personnels. Pour exemple, la dernière séquence mystérieuse de Donnie Darko (le salut de la main entre Gretchen et la mère de Donnie) renvoyait à un souvenir, une sensation que Kelly avait eue lors d’un voyage entre amis où une inconnue lui avait fait signe de la main. The Box apparaît à ce titre comme le film le plus intime du réalisateur puisqu’en choisissant comme décor les années 1970 avec un père salarié de la NASA, Richard Kelly plonge dans sa propre enfance (son père ayant lui-même travaillé pour la NASA). En dix années, le cinéaste n’a jamais cédé aux facilités de l’industrie hollywoodienne et a conservé une intégrité artistique qui lui vaut d’être apprécié par les uns autant que méprisé par les autres. Son amour pour la science-fiction, ses envies d’hommages à tous les cinémas et récits qui ont nourri sa vision du monde, ses tentatives audacieuses font de lui un cinéaste fascinant, prophète sous bien des angles, mais maudit par son incapacité à s'attirer la confiance de l'industrie hollywoodienne. Richard Kelly demeure encore à l’aube de sa carrière de réalisateur, mais pourrait bien marquer sa génération avec une filmographie brillante, inclassable et tendancieuse. Qui sait dans quel terrier le lapin nous entraînera…
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