Quentin Dupieux a tout « Wrong » !
« Est-ce que quelqu’un
filme ? Est-ce qu’il y a un film ? Est-ce qu’il y aurait un
film ? ». C’est sur ces mots balbutiés par Sébastien Tellier que
s’achève le moyen métrage Nonfilm que
tourne Quentin Dupieux en 2001. Non-film, non-sens, non-humour : Quentin Dupieux
tire à vue depuis une décennie pour brouiller les repères du
spectateur.
Quentin Dupieux (©Canal +) |
Flat Eric
Souvent présenté comme un adepte du « Grand N’importe Quoi », Quentin Dupieux (né en 1974) est originellement connu en tant que Mr. Oizo, un artiste de musique electro à qui l’on doit notamment le tube Flat Beat (1999), vendu à plus de 3 millions d’exemplaires à travers le monde. Réalisé par Dupieux en personne, le clip met en scène une peluche jaune nommée Flat Eric. George Bermann, le patron de Partizan Midi Minuit (boîte de production de Michel Gondry) tombe en admiration devant l’élégance rythmique de la vidéo et permet au musicien de réaliser dans la foulée une série de pubs pour Levi’s, avec Flat Eric en vedette.
Mr. Oizo trouve ainsi sa pleine identité artistique avec cet étrange double animalier, qu’il filmera aussi dans le court métrage Where is the money George ? et convoquera encore en avril 2012 pour un teaser de l’EP Stade 3. Si Quentin Dupieux avait commencé ses travaux vidéo dès 1996 pour le compte de Laurent Garnier, avec un clip/court-métrage de 14 minutes intitulé Nightmare Sandwiches, il ne garde pas un bon souvenir de l’expérience (« Laurent Garnier m'a cueilli un peu trop tôt, je n'étais pas encore sûr de moi, c'était non abouti ») et c’est donc à l’orée des années 2000 qu’il paraît s'épanouir comme réalisateur. Véritable star de la musique s’amusant avec le concept d’ « inécoutable » - les albums Analog Worms Attack (1999), Moustache (2005), Lambs Anger (2008) et Stade 2 (2011) enchantent un cortège croissant de fans -, Mr.Oizo cherche pourtant très rapidement à se construire un chemin cinématographique à part entière, bien au-delà de la simple réalisation de clips lyriques pour son pote Sébastien Tellier.
Un film aveugle
En 2001,
Quentin Dupieux réalise ainsi une troublante oeuvre conceptuelle de 75 minutes.
Questionnant la raison d’être d’un film,
Nonfilm est décrit par son
réalisateur comme « une pulsion de rage ». Alors que l’apprenti
cinéaste venait de se voir refuser un scénario en France, il ressent une
« envie adolescente et sauvage » de changer les règles en vigueur.
« L'idée du film est de montrer que la caméra existe, vivante. Elle n'est
pas un élément que l'on essaye de faire oublier au spectateur. » Dans des
décors désertiques et rocailleux, Sébastien Tellier et Vincent Belorgey
(musicien connu sous le nom de Kavinsky) se retrouvent au centre d’un tournage
en roue libre qui s’achève sans scénario et sans caméra. « C’est un film
aveugle et muet », lancera un des personnages. Forme d’anticipation du Gerry de Gus Van Sant, mâtiné d’absurde
à la Samuel Beckett, Nonfilm envoûte ou agace, mais impose avec force le motif de la boucle et du mouvement
circulaire. Jamais sorti en salles et longtemps introuvable, le film est
désormais disponible sur le web dans une version raccourcie de 47 minutes.
Nouvel Humour
No Reason
Marilyn Manson
L'année 2012 marque le retour attendu de
Quentin Dupieux puisque son troisième long métrage, Wrong, présenté au Festival de Sundance, sort le 5 septembre. S’appuyant plus que jamais sur l’épuisement du réel et la logique de boucle, le film flirte sans cesse avec le fantastique et lorgne du côté des scénarios de Charlie Kaufman (Dans la peau de John Malkovich ou Adaptation), en racontant l'histoire d'un homme qui perd à la fois son chien et son travail. Mais, plus lumineux que véritablement torturé, le film s'apparente à un feel-good movie arty.
Présenté comme un spin-off de Wrong, le court métrage Wrong Cops
se retrouve lui sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, avec Marilyn Manson
dans le rôle principal. Le prochain projet du cinéaste, qui l'obsède depuis longtemps, s'intitule Réalité : le pitch évoque les aventures d'une petite fille qui récupère
une cassette dans le ventre d’un sanglier...
Des centres d’intérêt
multiformes, la création de doubles énigmatiques et un soin amoureux porté à des objets
filmiques infiniment libres : voilà comment pourrait se résumer jusqu’ici le
parcours de Quentin Dupieux, dont les expérimentations n'ont sans doute pas fini de bercer le cinéma du 21ème siècle.
Emeric Sallon et Damien Leblanc
Emeric Sallon et Damien Leblanc
Sources et sitographie :
L’Express : “Quentin Dupieux : mon premier choc c'est Massacre à la tronçonneuse", par Julien Bordier, 09/11/2010 : http://www.lexpress.fr/culture/cinema/quentin-dupieux-mon-premier-choc-c-est-massacre-a-la-tronconneuse_935153.html
Brain Magazine : http://www.brain-magazine.com/article/interviews/184-Mr-Oizo-Quentin-Dupieux---Un-Steak-Andalou
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