Horizon du cinéma coréen
Le
cinéma coréen a connu une histoire
en dents de scie et une évolution assez tardive. Dès les débuts du cinéma, la
Corée découvre cet art nouveau. Les premières projections publiques ont lieu à
partir de 1903 et il faut attendre
les années 1920 pour que les premiers films soient réalisés en Corée, dont Arirang de Na Un-kyu, réalisé en 1926 et considéré comme l’une des œuvres maîtresses
de cette époque. La séparation de la Corée, la guerre puis l’occupation
américaine changent la donne. La
confrontation à une nouvelle culture
accélère chez certains le goût du cinéma. Kim Ki-young, qui deviendra par la
suite l’un des grands cinéastes coréens,
fait ses premières armes durant la guerre en tournant des documentaires avec du
matériel américain avant de se lancer dans une vraie carrière de cinéma. Le
pays étant dirigé jusque dans les années 1980 par deux pouvoirs autoritaires,
dont la seule pause se profile entre 1960 et 1961 (entre la fin du règne de
Syngman Rhee et l’arrivée de Pak Chung-hee), époque où Kim Ki-young tourne La Servante, son œuvre la plus célèbre,
la même année qu’Aimless Bullet de
Yoo Hyeon-mok, c’est réellement avec
les années 1980 que la Corée du Sud prend davantage de libertés et que de
nouveaux cinéastes émergent. Ce bref historique permet de comprendre
l’explosion qui a eu lieu à partir des années 1990 et qui a révélé dans les
années 2000 une vague de réalisateurs coréens
reconnus internationalement.
Park
Chan-wook appartient à cette génération de cinéastes apparus dans les années
1990, nourris de cinéma américain et des quelques œuvres coréennes existantes (Kim Ki-young ayant notamment eu une forte
influence sur le réalisateur). Son cinéma se développe progressivement pour
atteindre un style à la fois grand public et personnel.
Les premières armes
Le
jeune Chan-wook, né en 1963, se lance dans des études de philosophie (notamment sur la question de l'esthétique) qui le déçoivent rapidement par
leur aspect trop académique. Après son diplôme, alors qu’il n’a qu’une
expérience très réduite de la réalisation, le jeune homme intègre l’équipe de
production du film Ggam-dong, de Yu
Young-jin. Poursuivant la construction de sa culture cinéphilique, Park
Chan-wook apprécie Hitchcock, Nicholas
Ray, les réalisateurs hongkongais
ou encore Sam Raimi. L’homme décide de passer le cap et se lance dans la
réalisation en 1992 avec un premier métrage qui fera référence à tous les
cinéastes qu’il estime. The Moon is the
Sun’s Dream s’avère un essai formel plus qu’une vraie réussite filmique.
Après ce premier échec, Park Chan-wook ne tournera plus durant cinq ans. Son
goût pour le cinéma ne connaît aucune défection cependant et il rédige durant cette période un livre
de chroniques autour du cinéma, intitulé Vidéodrome :
The Discrete Charm of Watching Films. Explorant autant les films à gros
budgets (on y trouve un article sur Alien
3) que des œuvres plus confidentielles, le livre devient un succès auprès
des cinéphiles et donne l’opportunité à Park de se faire une première
réputation. Il décide alors d’entamer un deuxième film, Threesome (en 1997). Cette comédie d’action sous forme de road
movie reçoit un très mauvais accueil de la part de la critique qui y voit à
nouveau un objet de cinéphile trop référencé et parodique. Cette fois-ci le
cinéaste ne se démonte pas et commence un nouveau métrage pour renforcer son
style personnel. En résulte Trial,
film noir très formel qui servira de prélude aux prochaines œuvres du
réalisateur. Pour l’heure, Park Chan-wook demeure un inconnu, à l’exception de
quelques aficionados coréens. Nourri de ses échecs, il travaille sur des productions et des scénarios pour d'autres longs-métrages, ce qui lui offre l'opportunité d'améliorer sa connaissance du métier.
Threesome
De son premier succès à la trilogie sur la Vengeance
En
2000, l’homme se voit confier la réalisation du film Joint Security Area, sorte de thriller militaire débutant par une
fusillade à la frontière entre Nord et Sud. Complexe, alternant enquête et
flashbacks dans une trame labyrinthique, JSA
laisse présager à la fois l’importance formelle qu’apporte Park à ses films
ainsi que son attention à la direction d’acteurs. Dès JSA, un personnage féminin tient un des rôles centraux, annonçant
un élément clef de sa filmographie. Joint
Security Area devient à sa sortie l’un des plus gros succès de l’histoire
du cinéma coréen, avec plus de 6 millions d'entrées, dépassant le succès de l'année précédente Shiri, de Kang Je-gyu. L’aspect film d’action mêlé à un fond historique et politique
enthousiasme le public et la critique, propulsant Park Chan-wook parmi les
figures à suivre.
Devenu
d’une certaine manière un cinéaste culte et commercialement attractif, le
Coréen se lance dans une nouvelle réalisation, Sympathy for Mr. Vengeance (2002). Les effusions formelles sont
encore nombreuses, mais plus matures que par le passé. Le récit d’une prise
d’otage et d’une vengeance qui tournent mal, d’une noirceur et d’un réalisme
exacerbé, dérangent autant qu’ils passionnent. Le goût pour le hors-norme et
une certaine grandiloquence se renforcent à cette époque.
Old Boy, synthèse entre le thriller
labyrinthique à la Joint Security Area
et le récit de vengeance abrupte façon Sympathy for Mr. Vengeance, sort en
2003. Récit tortueux, mise en scène très soulignée, goût pour l’extrême, Old Boy est sélectionné à Cannes et
reçoit le Grand Prix, décerné par Quentin Tarantino. Le film connaît un vif
retentissement, notamment pour la fameuse scène où le personnage dévore un
poulpe vivant devant la caméra. Ce mélange entre onirisme fantasmagorique et
réalisme accru passionne certains et rebute les autres.
Tandis
qu’il prépare déjà la suite de ce qui va devenir la Trilogie de la Vengeance,
Chan-wook participe au tournage de 3
Extrêmes (2004) en concoctant l’un des court-métrages. Entouré de Takeshi
Miike (dernièrement Death of Samourai
et For Love’s Sake, tous deux
sélectionnés à Cannées en 2011 et 2012) et de Fruit Chan (Nouvelle Cuisine), Park Chan-wook s’engouffre dans un récit à la
fois horrifique et humoristique. Cut
conte la façon dont un réalisateur à succès se voit aux prises avec un fou qui
le force à tuer un enfant sous peine sinon de couper un à un les doigts de sa
femme. Outre la violence sanguinolente et le foisonnement visuel, on trouve
déjà quelques attraits pour le film de vampire (qui occupe par la suite une
grande place dans la carrière du cinéaste).
Pour
conclure sa trilogie, après un premier film autour d’un jeune couple, d’un
deuxième portant sur un homme, Park Chan-wook réalise en 2005 Lady Vengeance (ou Sympathy for Lady
Vengeance) s’intéressant cette fois-ci à la femme (et mère). Lady Vengeance ne connaît hélas pas le
retentissement d’Olé Boy malgré une présentation au Festival de Venise. Pourtant,
cette œuvre parvient à unir son humour personnel, parfois très noir, un lyrisme
onirique qui va continuer de croître, une violence glaçante et son goût pour
l’émotion forte. La noirceur de cette dernière œuvre abordant de front le thème
de la vengeance pousse l’auteur à se tourner vers de nouveaux horizons.
Les nouvelles facettes de Park Chan-wook
En
2006, Park Chan-wook signe I’m a cyborg
but that’s ok. On songe à Vol au-dessus d’un nid de coucou sans
la dimension politique de ce dernier. Le cinéaste y suit une jeune femme
internée dans un hôpital psychiatrique pour s’être prise pour un cyborg.
Personnages haut en couleurs, romance autant que comédie noire, I’m a cyborg but that’s ok est en partie
un ovni qui manque parfois un peu de rythme et d’ampleur, mais dont l’univers
et la mise en scène demeurent séduisants. Le film connaît à l’international un
accueil plus mitigé que les précédents opus. Son changement de ton et d’univers
déconcertent certains, mais permettent à Park Chan-wook de prendre du recul par
rapport à son propre travail.
Il
revient en 2009 avec sans doute son film le plus abouti : Thirst, en compétition officielle à
Cannes en 2009, qui reçoit le prix du jury. Thirst
est à la fois une révision du mythe du vampire et de Thérèse Raquin, l’un des chefs d’œuvre d’Emile Zola. Sa virtuosité
atteint des sommets, bien que certains jugent sa mise en scène trop appuyée. Le
film est ambitieux, rythmé, implacable. Riche
de sens et d’explorations narratives, Thirst
est une pierre angulaire dans la
filmographie de Park Chan-wook en condensant ce qui faisait la force de ses
autres films.
Depuis
ce dernier long métrage qui connut un beau succès critique et public, Park
Chan-wook n’a réalisé qu’un moyen métrage tourné avec un iPhone, Paranmanjang en
2011. Moins réussi sur le plan narratif, ce film s’apparente à un défi de
réalisateur, libératoire et amoureux du cinéma, pour explorer les possibilités
des nouveaux outils technologiques. L’essai est réussi, même si Paranmanjang (Des hauts et des bas)
demeure un film expérimental non dénué de poésie et confirmant le talent du
cinéaste capable, avec des moyens limités, de construire des mises en scène
sublimes.
Loin
de se retirer du monde, Park Chan-wook travaille aux Etats-Unis, pour la
première fois, à une nouvelle adaptation du mythe de Dracula intitulé Stoker. Le film devrait être terminé pour
2012 et comptera au casting Nicole Kidman, Matthew Goode, Alden Ehrenreich ou
encore Mia Wasikowska. Il devrait
ensuite se lancer dans un nouveau projet, l’adaptation du film de Costa-Gavras Le Couperet, intitulé The Ax.
Fort
d’un cinéma prestigieux et reconnu, Park Chan-wook tisse une œuvre à la fois
flamboyante, exubérante, vibrante et sensible. Certaines thématiques s’étendent
d’un film à l’autre, tels la
violence, la figure féminine, le monstre, le rêve, la construction identitaire
tout en s’efforçant d’évoluer à chaque nouvel opus. Et c’est bien parce qu’il
est capable à la fois de se perdre dans des extrêmes à la limite du grotesque,
d’oser casser les rythmes et les habitudes sans jamais perdre de vue le
spectateur, tout en construisant des films rendant hommage à ses références,
que Park Chan-wook parvient à harmoniser en lui les casquettes du fou, de la
brute et du savant, rendant sa filmographie envoûtante et remarquable.
En
une vingtaine d’années, Park Chan-wook est devenu
l’une des figures de proue de la nouvelle génération coréenne, aux côtés d’autres grands cinéastes comme Bong Joon-ho, Kim Ki-duk, Im Sang-soo, Hong
Sang-soo ou Lee Chang-dong. L’avenir lui offrira sans doute la possibilité
d’assagir son style pour acquérir une maturité lui permettant de nous éblouir
encore sans se perdre dans sa propre toile.
Pour aller plus loin :
Korean Film Directors Series, Park Chan Wook, 2006
Les inroks : http://www.lesinrocks.com/2011/01/11/cinema/park-chan-wook-old-boy-realise-un-film-avec-liphone-4-1121244/
Vodkaster: http://www.vodkaster.com/actu-cine/Park-Chan-Wook-The-Ax-Costa-Gavras-Le-Couperet-2290
Vidéo :
Moon is the sun’s dream : http://www.youtube.com/watch?v=jZfk_wUWTXw
Tryo (1997) : http://www.youtube.com/watch?v=mIsPkG7QI3s
Joint Security Area (2000) : http://www.youtube.com/watch?v=TjzwuuJG0cQ
Sympathy for Mr. Vengeance (2002) : http://www.youtube.com/watch?v=4FyK2KFjAyI
Old Boy (2003) : http://www.youtube.com/watch?v=QOmFSTQNfS8
3 extrêmes : http://www.youtube.com/watch?v=5rIz7WEKGTs
et http://www.youtube.com/watch?v=OOli59e005Q
Lady Vengeance : http://www.youtube.com/watch?v=x9E85R09Gqs
I’m a cyborg but that’s ok (2006) : http://www.youtube.com/watch?v=il3ZmlrjYDg
Film I phone : http://www.youtube.com/watch?v=DoeN8_LZDqg&feature=related
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